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Le blog de Jean François Duchamp

Ce blog vous fait partager mes goûts et mes découvertes artistiques, musicales, humaines et spirituelles.

Publié le par Jean François Duchamp


1. Cher Joseph RUSCON, vous avez fait un magnifique cadeau à la Maîtrise des Petits Chanteurs de Lyon pour Pâques 2008. Vous avez offert votre orgue personnel ! Que représente-t-il pour vous ? Et pourquoi un tel cadeau ?


En 2007 à 86 ans, pour des raisons de santé et d’éthique, j’ai complètement cessé de jouer après avoir gravé un CD de la musique d’orgue de Georges Muffat, mon orgue devenait alors silencieux.

J’étais très attaché à cet instrument de grande qualité, pour l’acquisition duquel j’ai fait beaucoup de sacrifices, il fut mon fidèle compagnon journalier pendant 35 ans pour mon travail personnel et pour mon enseignement.

Au lieu de laisser l’orgue muet se détériorer j’avais d’abord pensé le vendre. Ayant connaissance depuis 1975 du beau et riche travail que de passionnés et valeureux éducateurs dispensaient aux jeunes garçons de la ‘’Maîtrise des Petits Chanteurs de la Primatiale de Lyon’’ et les sachant dépourvus des moyens qui leur permettraient l’achat d’un bon instrument de répétition et d’enseignement, j’ai alors pensé qu’il serait très utile de participer à cette tâche qui fut une des importantes motivations de ma vie. J’ai donc fait don de mon orgue afin de participer à cette mission.

Vous pouvez supposer combien cette décision a été dure à prendre. J’aurais pu attendre mon décès, mais tout compte fait, il est exaltant de voir de mon vivant le bon usage qui en est ainsi fait au service de la formation des enfants et de la musique sacrée. Je suis donc heureux et très serein d’avoir pris cette décision.



2. Vous avez créé la classe d'orgue à Annecy. En quelle année ?
Comment cela s'est il passé
?

En 1953, après l’obtention d’un premier prix d’orgue à l’unanimité dans la Classe du Professeur Jean Giroud à Chambéry, Madame Gaillard qui venait de créer le Conservatoire d’Annecy, m’a demandé d’ouvrir une classe d’orgue. Fréquentée aussitôt par de nombreux élèves, elle m’a vite fait honneur. En 1959 après examen par l’Inspecteur de la Musique, je fus admis à enseigner dans ce conservatoire devenu officiellement en 1969 ‘’Ecole Nationale de Musique d’Annecy’’. Chaque année, de grands artistes sont venus présider les jurys, comme : Pierre Segond, Marie-Claire Alain, Marcel Péhu, Joseph Reveyron, François Bonnal, etc.



3. On dit que vous étiez très exigeant ! Est ce vrai ?

Alors que j’étais élève en ‘’mécanique générale’’ chez l’Abbé Lamache à Lyon, en 1939 à 18 ans, j’ai commencé l’étude de l’orgue avec mademoiselle Defay, organiste de Ste Croix- elle-même élève comme Marcel Péhu du grand organiste Joseph Bonnet et professeur très exigeante Dés juillet, revenu à Annecy la veille de la guerre, j’ai alors travaillé d’arrache-pied l’orgue, le piano et l’harmonie en autodidacte tout en exerçant diverses fonctions me permettant de faire vivre ma famille.

Je n’ai jamais supporté ‘’les visiteurs’’ parmi mes élèves, je les voulais travailleurs et passionnés comme moi, misant tout sur la connaissance et la perfection. Je dois dire qu’à la demande de notre Directrice et encouragé par Olivier Alain (le frère de Marie-Claire Alain) inspecteur de la Musique, j’ai enseigné assez vite conjointement le piano, en insistant beaucoup sur la technique pour n’avoir pas de problèmes de virtuosité, souvent la tare des classes d’orgue. Les élèves passaient semestriellement les mêmes concours que les pianistes en plus des concours d’orgue. Double travail et dur labeur pour les élèves et leur professeur qui n’a jamais pu prendre de vacances, car toujours en préparation d’auditions et concours. En élargissant leurs connaissances, les élèves exerçaient aussi davantage leur sensibilité avec le répertoire de piano. Je leur conseillais aussi le chant choral. Je crois avoir été le seul professeur de conservatoire à avoir eu ainsi deux casquettes. Beaucoup de mes élèves devront à ces exigences de gagner leur vie dans les métiers de la musique, alors que celui d’organiste, sauf rares exceptions, ne débouche en France sur aucun moyen d’existence !

Chaque année je fréquentais les orchestres du Festival de Besançon pour ne pas me scléroser seulement sur la musique d’orgue. Proche de Genève j’ai aussi fréquemment suivi tout ce qui s’y passait.

C’est ce parcours laborieux qui m’a rendu moi-même très exigeant.


4. Vous avez eu quelques élèves célèbres.

Pouvez-vous nous dire un mot sur eux ?

J’ai eu la chance en 1957 de faire travailler au piano pendant quelques années, le célèbre pianiste François –René Duchâble lorsqu’il avait 5 ans, il a appris avec moi beaucoup de technique et ses premières partitions de Bach, Mozart et Beethoven, depuis il ne cesse de me témoigner respect et grande amitié. C’est avec bonheur qu’en 2010, je lui ai cédé mon double piano Pleyel, historique, acquis de Léonce de Saint-Martin en 1960.

Etienne Baillot titulaire de l’orgue historique de Dôle, est sans doute le seul qui fasse une brillante carrière d’organiste concertiste et professeur de conservatoire, nous sommes restés très attachés.

Beaucoup continuent comme pianistes ou organistes mais sont restés amateurs ou sont devenus professeurs de formation musicale de conservatoire, directeurs d’école de musique, professeurs de musique des lycées, des fonctions vers lesquelles, en bon père de famille, je les ai toujours incité à se diriger, leurs études musicales étant en général tardives, je voulais qu’ils puissent vite s’en sortir en gagnant leur vie.

Stéphanie Revidat élève d’orgue et piano depuis l’âge de 8 ans est devenue cantatrice-soprano internationale, elle ne manque pas de témoigner combien sa formation a favorisé ses études de chant et sa carrière.

Professeur de musique au Grand Séminaire d’Annecy – 80 élèves dans les années 50 – j’ai eu entre autre excellent étudiant à l’orgue : Raymond Bouchex qui deviendra Archevêque d’Avignon.

5. Vous avez participé au rayonnement de l'orgue en Haute Savoie. Comment ?

Deux guerres successives n’avaient pas favorisé l’essor de l’orgue dans notre province savoyarde. Dés la fin des hostilités, les paroisses renaissant, les chorales se reconstituant, s’est fait ainsi sentir la nécessité de la construction d’orgues neuves et la restauration de celles existantes. Ma formation technique me prédisposait à m’intéresser à la facture d’orgue et cela me passionnait. J’étais ainsi l’un des rares organistes de la région ayant acquis une certaine compétence en la matière et j’ai répondu à cette demande. Le mouvement était lancé et a donné aujourd’hui une floraison de beaux instruments.

6. Vous vous êtes aussi occupé, je crois, de la Sainte Chapelle à Chambéry.

Dés les années 1960 je fus conseiller artistique des Amis de la Sainte Chapelle et c’est tout naturellement qu’avec mon ami Michel Dumont et toute une équipe dont Marie-Claire Alain, nous avons porté et mené à son terme en 1975, la magnifique reconstitution de l’orgue ducal disparu à la Révolution.

7. Vous avez invité la Maîtrise de la Primatiale pour deux concerts à Annecy et Chambéry avec Patrice Caire. Quel souvenir en gardez-vous ?

Responsable de la programmation des concerts de St Joseph à Annecy et de la Ste Chapelle de Chambéry, j’avais connaissance de la nouvelle notoriété de cette formation dirigée depuis peu par son nouveau Maître de Chapelle Jean-François Duchamp ; j’ai saisi l’opportunité de réserver ces deux concerts qui eurent un succès très mérité.

Par la même occasion, j’ai connu et estimé le grand organiste que fut Patrice Caire, à tel point que je l’ai fait engager à ma suite pour représenter l’école d’orgue française au Festival International d’Orgue de Francfort sur le Main.

Depuis une solide amitié s’est établie avec Jean-François et elle ne s’est jamais départie !


8. Vous étiez organiste à l’Eglise St Etienne du Pont Neuf. Mais pas seulement, vous faisiez chanter le chœur ? Quel souvenir en gardez-vous ?

J’ai toujours aimé chanter. À 9 ans j’étais soliste-alto dans la chorale du Collège Ste Marie de La Roche-sur-Foron. Là, comme à St Joseph de Thonon, j’ai aussi fait partie de la fanfare. En juillet 1941 j’ai été engagé à la Musique Nationale des Chantiers de la Jeunesse Française comme corniste et organiste, j’y ai côtoyé de grands musiciens issus des conservatoires et j’ai pu connaître de l’intérieur les orchestres d’harmonies et symphoniques.

Sitôt libéré, à 21 ans j’ai dirigé mon premier chœur d’hommes ‘’l’Harmonie Chorale d’Annecy’’ que j’ai vite transformé en un chœur mixte de plus de 80 exécutants. J’en ai démissionné en 1945 pour diriger la chorale paroissiale. J’ai alors étudié assidûment le chant grégorien, suivant des cours de Dom Gajard et de l’Institut grégorien de Lyon.

Chaque dimanche en plus de quatre ou cinq pièces d’orgue, nous chantions le Propre de l’office du jour que je dirigeais tout en accompagnant moi-même. Nous chantions Vêpres chaque dimanche et en saison estivale les Complies. Pour les grandes œuvres chorales, mon fils Jacques dès ses 9 ans, m’a secondé à l’instrument.

Rétrospectivement, bien que n’étant pas rémunéré pour mon service, j’ai vécu là les plus belles heures spirituelles et artistiques de ma vie.

J’ai eu aussi de la chance et je n’ai pas peu appris, en m’intégrant souvent à la Chorale Universitaire de Grenoble dirigée par mon Maître Jean Giroud.

Malheureusement dés 1965, après le Concile, un nouveau curé a ‘’bricolé’’ la liturgie, j’ai alors laissé tomber la chorale, puis en 1972 excédé par la désinvolture et la non-concertation, j’ai un dimanche en pleine communion, envoyé le chant (ridicule) imposé par delà la tribune et j’ai définitivement quitté ma console !


9. Vous avez bien connu quelques grands organistes. Pouvez vous nous donner quelques témoignages sur Léonce de St Martin, Pierre Cochereau, Marie - Claire Alain...

Avant tout autre, j’ai été très proche de mon Maître Jean Giroud, il tenait son enseignement de Marcel Dupré et Charles Tournemire, c’était un remarquable pianiste et improvisateur, d’une érudition sans pareille, avec lui nous avons négocié le retour aux sources qui s’amorçait pour l’interprétation de la musique ancienne.

Début 1950 j’ai eu l’opportunité de faire la connaissance de Paul Perrot, négociant à Paray-le-Monial, fou d’orgue, il profitait de son aisance financière pour courir les tribunes. Avec lui j’ai sillonné la France et l’Allemagne. Ayant ses entrées à Notre-Dame de Paris, il m’y emmenait souvent et nous allions ensuite déjeuner avec Léonce de Saint Martin son titulaire. J’admirais de suite le Maître, son sens de la Liturgie, le panache et la justesse de ses interprétations, j’ai encore en mémoire une inoubliable troisième sonate de Mendelssohn et la prodigieuse majesté avec laquelle il jouait l’Offertoire sur les grands jeux de Couperin. Sa Messe en mi me donne encore aujourd’hui des frissons. C’est de là que j’ai aimé et appris à respirer avec les grands instruments.

Après son décès en 1954 c’est tout naturellement que je suis devenu l’ami assez intime de son successeur : Pierre Cochereau, il m’a beaucoup encouragé et souvent invité à jouer en concert son prodigieux instrument.

J’ai bien connu André Marchal, aveugle, je l’avais reçu avec Norbert Dufourcq en 1947 à Annecy et j’ai été invité avec lui comme membre du Jury à Nice en 1967, avec Pierre Sancan et quelques autres grands artistes. Pendant une semaine nous avons jugé les épreuves des claviers et d’écritures et nous avons décerné un premier prix d’orgue à l’unanimité à Scott Ross, devenu un très célèbre claveciniste. J’ai appris de Marchal l’éclectisme du répertoire et le sens de la registration.

Je n’en finirais pas de citer tous les artistes que j’ai côtoyés tout au long de ma longue vie et dont j’ai été souvent l’ami : Jean Langlais qui m’a présenté son orgue personnel et son mythique instrument de Ste Clotilde, il m’a dédié sa ‘’Rapsodie sur des noëls savoyards’’. Joseph Reveyron, l’ami intime qui m’a dédicacé une composition ‘’Divertimento sur des chants savoyards’’, pièce virtuose que j’ai donné en première audition sur l’orgue de la primatiale. Michel Chappuis et les fabuleuses nuits auprès de l’orgue de Dôle. Marcel Pehu et son orgue historique de St François. Gaston Litaize qui m’a marqué par ses exigences de la registration. Pierre Segond, etc. Sans oublier mon cher ami le maestro Roberto Micconi, organiste de San Marco à Venise de qui j’ai beaucoup appris sur la musique et la facture italienne.

Depuis de longues décades, Marie-Claire Alain m’a tout particulièrement honoré de son amitié et m’a toujours prodigué ses plus vifs encouragements.

J’ai butiné chez tous ces grands artistes pour faire le miel de mes connaissances et de ma formation.

10. Bientôt 90 ans ! C'est extraordinaire. La musique conserve bien !
Qu'en pensez-vous ? Quel est le secret d'une telle longévité
?

Pour moi cela aura été un énorme travail, jours et dimanches. Dans mes jeunes années, pendant longtemps j’allais travailler mon orgue à l’église à 4 h du matin et à 6h30 je partais au travail. Toujours avide de nouvelles connaissances artistiques, visant toujours l’excellence, je n’ai jamais négligé pour autant l’amitié et la convivialité. Surtout depuis ma retraite, mes nombreux voyages ont eu une très grande importance pour les connaissances et les richesses intellectuelles que j’en ai retiré, d’autant qu’avec José, ma fidèle compagne, une profonde entente et complicité nous a toujours conduit dans la même orientation. J’ai aimé passionnément la vie.

11. On vous voit souvent aux concerts des Chœurs de la Primatiale, pourquoi ?

Privé en Savoie de la belle liturgie à laquelle je m’étais consacré, j’apprécie depuis des années les cérémonies de qualité à la Primatiale, le travail artistique des différents chœurs et particulièrement celui des garçons sous la direction compétente de Jean-François Duchamp, Maître de Chapelle.


12. Lors de l’inauguration par Yves Lafargue dans les locaux de la Maîtrise entouré de votre famille et de vos amis, qu’avez-vous ressenti ?

Entouré par ma famille, mes amis et toute la Maîtrise, ce fut pour moi une grande émotion, bien sûr ! Mais comme tout nous est confié par le Seigneur, avec ce don, j’ai ressenti cette transmission avec satisfaction et comme une réussite adoucissant mes vieux jours.


13. Vous avez quelque chose à rajouter que vous aimeriez “dire aux jeunes” et “moins jeunes” chanteurs des chœurs de la Primatiale de Lyon.

Membres de la Maîtrise et du Chœur mixte de la Primatiale, quand pour vous viendra aussi le temps du bilan, puissiez-vous être heureux et fiers d’avoir consacré une partie de votre temps pour donner de la beauté à notre liturgie et à l’art du chant choral pour la plus grande gloire de Dieu.


Merci. Ad multos annos !

Le 21 octobre 2010

Interview de Joseph Ruscon par J.F. Duchamp en 2010Interview de Joseph Ruscon par J.F. Duchamp en 2010
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